LE CHÂTEAU-FOUQUET À BELLE-ÎLE-EN-MER,
une ancienne demeure devenue un cachot lugubre.
par Julien Hillion,
Docteur en Histoire contemporaine
Membre associé du laboratoire TEMOS-CNRS
« Non loin de la colonie est une lourde et sombre bâtisse de granit, entourée d’un haut mur, à demi enfouie sous les ramures d’ormeaux courbées par le vent de mer(1). »
Lorsque le voyageur Victor-Eugène Ardouin-Dumazet décrit le Château-Fouquet en 1903, force est de constater que l’on est loin des fastes de l’ancien surintendant des finances du Roi-Soleil. Nous sommes au tout début du XXe siècle et l’ancienne demeure est devenue cachot.
La date exacte de la construction du Château-Fouquet reste inconnue. Patrick Jonveaux, vice-président de la Société historique de Belle-Île-en-Mer et mémoire locale, la situe entre 1658 -année de l’achat de l’île par Nicolas Fouquet (2) - et 1661 -année de son arrestation par Louis XIV-. La demeure fait alors partie d’une structure composée de deux éléments. Une archive de 1683 évoque en effet « plusieurs bâtiments appelés les Grands pavillons, desquels partie est couverte d’ardoise et l’autre partie en ruine, proche desquelles est aussi un autre bâtiment appelé le Petit pavillon consistant en chambres basses et hautes, écuries, cours et greniers couverts d’ardoise (3). »
De cet ensemble architectural, seul subsiste aujourd’hui le Petit pavillon qui est devenu au fil des siècles le « Château-Fouquet. » L’édifice voit sa charpente et son plomb retirés par les Anglais durant l’occupation de l’île entre 1761 et 1763. Gabriel Bruté de Rémur, directeur des domaines du roi à Rennes, l’obtient par afféagement quelques années plus tard. Ses héritiers le vendent en 1814 à Jean-Louis Trochu (1790-1861), un agronome bellilois d’adoption. On doit notamment à cet homme d’influence, élu maire et conseiller général de Belle-Île-en-Mer, la construction du grand phare ou de nombreux travaux d’aménagement dans le port de Palais (4). Dès lors, le Château-Fouquet sert, dans ses parties supérieures, de logements aux familles de gardiens de la prison de Haute-Boulogne et, dans ses sous-sols, de cachots pour les détenus. L’historien Jean-Yves Mollier indique que le site est rétrocédé en 1879 au Ministère de la Guerre, au moment où la famille Trochu passe un accord avec l’administration pénitentiaire pour la location de ses biens et leur future exploitation directe par les prisonniers (5). La maison de correction étant inaugurée l’année suivante, le Château-Fouquet accueille dorénavant dans ses geôles des jeunes détenus (6). En 1952, cinq années après la fermeture del’Institution Publique d’Éducation Surveillée, il est acquis par un nouveau propriétaire.
Il commence alors à tomber peu à peu en ruine.
Un rapport datant du milieu du XIXe siècle, période durant laquelle la prison de Haute-Boulogne accueille des détenus politiques incarcérés après la Révolution de 1848, décrit les sous-sols du bâtiment. L’auteur évoque de « vastes corps de garde, bien aérés, dont les murs sont blanchis à la chaux et qui sont éclairés par des hautes et larges fenêtres. » Il insiste sur le fait qu’il ne s’agirait pas de « cachots », mais de « casemates », qu’il définit comme des « chambres ordinaires (…) voûtées de manière à résister à la bombe. » Selon lui, tout l’intérêt est qu’elles sont de ce fait « mieux à l’abri d’une tentative d’évasion (7). » Les prisonniers n’auraient donc pas, selon l’auteur, à se plaindre de leur transfert dans les cachots du Château-Fouquet. La découverte de sources postérieures remet en cause cette affirmation.
Alors que les premiers pupilles de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer
débarquent dans l’île en 1880, le Château-Fouquet ne change pas de fonction. Il est toujours partie prenante, avec l’ancienne prison pour adultes de Haute-Boulogne et la ferme de Bruté, d’un « complexe architectural (8) », au sens propre comme au sens figuré, dénué de réflexion globale au moment de sa conception et dans un piteux état. Dans un courrier daté de novembre 1886, le directeur de la colonie M. Coville évoque « l’état de délabrement » et « le peu de solidité des bâtiments de la Haute-Boulogne, de la ferme de Bruté, du Château Fouquet. » Il espère avoir plus de succès dans la tentative de rénovation des sites que ses collègues : « Mes prédécesseurs ont, comme je l’ai fait moi-même l’année dernière, insisté tout particulièrement et avec raison sur l’état de délabrement, le peu de solidité des bâtiments de la Haute-Boulogne, de la ferme de Bruté, du Château-Fouquet (…). Tous ces locaux réclament des entretiens incessants et onéreux (9). » Quelques mois auparavant, alors que 33 mutins y avaient été conduits, l’état du Château-Fouquet posait déjà question : « ces cachots [laissent] bien à désirer sous le rapport de l’hygiène et même sous le rapport de la sûreté et de la facilité de surveillance (10). » Les années passent et les demandes de rénovations se soldent toutes par un refus catégorique de la part du Ministère de l’Intérieur. En 1884, le directeur juge pourtant sa demande de crédit « très [justifiée] par le nombre et le mauvais état des bâtiments à Bruté, à la Haute-Boulogne, au Château-Fouquet, à la Terrasse aux Lunettes, dont l’entretien ne saurait être négligé sauf préjudice grave pour le Trésor (11). » Cinq ans plus tard, les sommes apparaissent toujours « nécessaires pour réparer et entretenir les bâtiments, soit de la Haute-Boulogne, soit de la ferme de Bruté, soit surtout pour la consolidation du Château-Fouquet menaçant ruine et dont l’administration est responsable vis-à-vis du Génie militaire de la place, n’étant qu’usufruitière de cet immeuble (12). » Dès lors, le bâtiment ne peut inspirer que crainte et angoisse aux individus qui le fréquentent.
L’administration pénitentiaire joue sur les mots pour ne pas admettre la réalité des conditions de détention des prisonniers du Château-Fouquet. Le rapport de 1850 précédemment cité indique par exemple que « la mise aux fers n’a jamais été pratiquée à Belle-Isle » et qu’il n’y a « pas de cachot » dans l’île mais uniquement les « casemates du Château-Fouquet ». Les pouvoirs publics feignent également un traitement de faveur des prisonniers politiques bellilois qui, transférés au Château-Fouquet, verraient leur ration de viande « mais jamais la soupe (13) » supprimée lorsqu’ils séjournent dans les cachots du Château-Fouquet. Les privations de nourriture deviennent en théorie strictement interdites lorsque leurs cadets fréquentent l’édifice.
Nombreux sont les pupilles bellilois ayant passé plusieurs journées de cachot au Château-Fouquet. En 1885, après leur tentative d’évasion, cinq d’entre eux sont « mis en cellule. » Ils ne retourneront travailler à la ferme de Bruté « que quand on connaitra exactement leurs nouvelles dispositions (14). » En 1887, après l’incendie qui ravage un bâtiment de Haute-Boulogne, six suspects y séjournent à leur tour (15). En 1889, le pupille Gallo y est enfermé 45 jours : 15 jours pour évasion, 15 jours pour vol d’effets et 15 jours pour avoir volé « un canot appartenant à un pêcheur de Belle-Ile (16). » Ultime instrument dans le panel des punitions correctionnelles belliloises, l’enfermement au Château-Fouquet marque dans la plupart des cas un point de non-retour. En règle générale, les pupilles qui y sont enfermés n’en sortent que pour rejoindre le continent afin d’y être jugés et transférés dans un établissement plus coercitif.
Au fil des parutions de guides touristiques, il est enfin intéressant de constater combien l’ostracisation des jeunes détenus inamendables, fonction principale du Château-Fouquet, est volontairement cachée au grand public. L’édifice apparait en effet au moins à trois reprises dans ce type de littérature. En 1878, Louis Le Ray estime que « cet édifice n’a aucun mérite d’architecture (17). » En 1895, Léon Trébuchet rappelle que d’illustres prisonniers y ont été conduits, parmi lesquels on trouve « Blanqui, par mesure disciplinaire (18). » Comme précédemment indiqué, Victor-Eugène Ardouin-Dumazet y voit quant à lui une « lourde et sombre bâtisse de granit entourée d’un haut mur » qui est « si sombre et si triste (19) - » Qu’on leur ait caché la présence de pupilles dans les sous-sols ou qu’il s’agisse d’une volonté délibérée de ne pas effrayer les lecteurs, aucun de ces trois visiteurs ne s’attarde sur la présence de détenus dans ces locaux. La suite du texte de Victor-Eugène Ardouin-Dumazet, qui décrit la ferme de Bruté sans en évoquer la fonction, celle d’héberger des jeunes détenus, laisse penser que la seconde hypothèse est à privilégier.
Le Château-Fouquet est longtemps sorti des mémoires belliloises. Quel n’a en effet pas été la surprise des érudits locaux lorsque je leur ai annoncé qu’il servait de cachots aux jeunes détenus de la colonie pénitentiaire ! Sur place, tout le monde l’ignorait. Les sources attestent pourtant d’un état de fait : entre le milieu du XIXe siècle et les années 1940, la simple évocation du Château-Fouquet faisait frissonner plus d’un ancien détenu.
Vue extérieure du Château-Fouquet au début du XXe siècle.
(Fonds Henri Manuel | Médiathèque de l’Enpjj )
1 ARDOUIN-DUMAZET Victor-Eugène, Voyage en France, 3e série, Iles de l’Atlantique, d’Arcachon à Belle-Isle, Paris,
1903, pp. 287-318.
2 Nicolas Fouquet achète l’île pour 1300 livres le 5 septembre 1658. Voir JONVEAUX Patrick (dir.), Histoire de Belle-Ile,
Société historique de Belle-Île-en-Mer, 2022, pp. 50-53.
3 AD 44 962, Adueu de Mme de Castille, 1683. Les informations concernant l’Époque moderne ont été transmises par Patrick Jonveaux.
4 Jean-Louis Trochu raconte son entreprise de défrichement dans un ouvrage paru en 1846, près de quarante années après
son arrivée sur l’île. Il est le père de Louis-Jules Trochu (1815-1896), général de l’armée française qui grandit à la ferme
de Bruté. Voir TROCHU Jean-Louis, Création de la ferme et des bois de Bruté sur un terrain de landes, à Belle-Isle-en-Mer
(Morbihan), Paris, 1847, 426 p.
5 MOLLIER Jean-Yves, Belle-Île-en-Mer, prison politique après la Commune (1871-1880) in « Répression et prison
politiques au XIXe siècle », Société d'Histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, Créaphis,
1990.
6 AD56, Y 184, Budget spécial des dépenses de l’exercice, Colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer, 1889 ; AD56, Y158,
Rapport pour le Budget spécial des dépenses de l’exercice 1909 adressé par le directeur au Préfet, 9 octobre 1908.
7 AD56, Y146, Notes sur la prison de Belle-Ile, vers 1850.
8 Voir HILLION Julien, Le bataillon des « nuisibles », La colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-Mer (1880-1911) : parcours de vies de jeunes détenus et modèle carcéral, Thèse de doctorat, Université de Bretagne Sud, 2021, pp. 105-113.
9 AD56, Y184, lettre du directeur au Préfet, 30 novembre 1886. La demande de rénovation des bâtiments avait déjà été formulée l’année précédente. Voir AD56, Y184, lettre du directeur au Préfet, 24 novembre 1885.
10 AD56, Y185, lettre du directeur au Préfet, 4 février 1886.
11 AD56, Y 184, Budget spécial des dépenses de l’exercice, Colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer, 1887.
12 AD56, Y 184, Budget spécial des dépenses de l’exercice, Colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer, 1889.
13 AD56, Y146, Notes sur la prison de Belle-Ile, vers 1850.
14 AD56, Y179, lettre du directeur au Préfet, 5 janvier 1885.
15 AD56, 2 U 2 680, rapport de gendarmerie, 1er février 1887.
16 AD56, Y193, lettre du Préfet au Ministre, 5 septembre 1889.
17 LE RAY Louis, Belle-Ile-en-Mer : description et histoire, Le Palais, Imprimerie Belliloise, 1878, p. 154.
18 TREBUCHET Léon, Les étapes d’un touriste en France, Belle-Ile-en-Mer, 2e éd., Paris, 1895.
19 ARDOUIN-DUMAZET Victor-Eugène, Voyage en France, 3e série, Iles de l’Atlantique, d’Arcachon à Belle-Isle, op. cit.,
pp. 298-299.
SOURCES :
-ARDOUIN-DUMAZET Victor-Eugène, Voyage en France, 3e série, Iles de l’Atlantique, d’Arcachon à Belle-Isle,
Paris, 1903.
-LE RAY Louis, Belle-Ile-en-Mer : description et histoire, 2e ed., 1878.
-TREBUCHET Léon, Les étapes d’un touriste en France, Belle-Ile-en-Mer, 2e éd., Paris, 1895.
BIBLIOGRAPHIE :
-HILLION Julien, Le bataillon des « nuisibles », La colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-Mer (1880-1911) : parcours de vies de jeunes détenus et modèle carcéral, Thèse de doctorat, Université de Bretagne Sud, 2021.
-JONVEAUX Patrick (dir.), Histoire de Belle-Ile, Société historique de Belle-Île-en-Mer, 2022, pp.50-53.
-MOLLIER Jean-Yves, Belle-Île-en-Mer, prison politique après la Commune (1871-1880) in « Répression et prison politiques au XIXe siècle », Société d'Histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1990

Dossier d’œuvre architecture IA00008185
Réalisé par :
Castel Yves-Pascal (Enquêteur)
Tugores Marie-Madeleine (Enquêteur)
-
étude d'inventaire
Château le Petit Pavillon Fouquet, Roserières (Le Palais)
Bretagne > Morbihan > Le Palais
Source : https://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/IA00008185
Remerciements :
Pôle Partenariats et Publics - Région Bretagne I Rannvro Breizh
Service inventaire du patrimoine culturel I Servij renabliñ ar glad sevenadurel
Direction du tourisme et du patrimoine (DTP) I Renerezh an touristerezh hag ar glad
